samedi 26 février 2011

Dépression et spiritualité

INTERVIEW
Livre. Un prêtre valaisan trace des chemins d’espérance contre l’angoisse et la dépression.

Propos recueillis par Vincent Pellegrini

Les Editions des Béatitudes ont publié récemment le livre d’un prêtre valaisan, Joël Pralong, curé dans le secteur paroissial de Nendaz. Il est intitulé «Angoisse, dépression, culpabilité» et sous-titré «Un chemin d’espérance avec Thérèse de l’Enfant-Jésus». L’ouvrage est  préfacé par le cardinal Henri Schwery. Notre interview.
Joël Pralong, pourquoi avez-vous écrit ce livre qui traite de la dépression et de l’angoisse?
C’est un thème que j’ai toujours voulu traiter car j’ai eu  une formation et j’ai fonctionné comme infirmier en soins psychiatriques avant d’entrer au séminaire. Or, dans mon travail d’infirmier, j’ai vécu la frustration de voir en quelque sorte la psychiatrie moderne réduire l’âme humaine. Je veux parler de la réduction de l’âme à ses seules perceptions. Je me suis dit aussi que dans la psychiatrie moderne, telle que je l’ai vécue, Dieu était le grand absent. J’avais en outre l’impression que l’on oubliait un peu qu’il y a toujours une capacité d’aimer et d’être aimé derrière chaque patient. Il y a une partie profonde de l’être que la maladie n’atteint pas. Et il y a dans toute âme quelque chose de plus grand qui dépasse tout.
Mais vous reconnaissez quand même l’existence de la dépression...
Bien sûr qu’elle existe et il faut accepter qu’elle soit traitée médicalement, mais il faudrait aussi creuser du côté du spirituel pour aider la personne à aller mieux. Il  faut sonder ce qu’est l’homme pour une rencontre entre les dimentions spirituelles et psychologiques.
Quelle est la différence au fond entre le psychothérapeute et le prêtre ?

C’est une vaste question car le prêtre et le psychothérapeutes ont deux regards complémentaires. Voyons un aspect des choses. Le thérapeute renvoie le patient à lui-même en le poussant à plonger dans son passé pour qu’il trouve lui-même les raisons de son mal-être. Il ne donne pas une solution toute faite et ne se prononce pas non plus sur la responsabilité morale. Disons que la psychothérapie aide à se libérer des comportements et des modèles erronés acquis. Par contre, dans la démarche sacramentelle, il y a trois personnes: le pénitent, le prêtre et Dieu. Le prêtre écoute le pénitent ou le fidèle dans une attitude d’accueil et de compassion. Mais loin de le fixer sur son  passé, il l’invite à se tourner vers un Autre, en l’occurrence Dieu, qui pardonne et tire un trait sur le passé. Le prêtre nourrit l’espérance au présent.
Mais pourquoi lier dépression et spiritualité ?
On ne peut pas nier que la dépresssion soit responsable du délabrement  d’êtres très attachants. Il faut même dire aux personnes dépressives de bien prendre leurs médicaments.  Mais il y a aussi quelque chose à travailler du côté spirituel pour aider les personnes à aller mieux.  Viktor Frankl disait que dans  les camps nazis les personnes ayant la foi tenaient plus longtemps sans sombrer dans le désespoir. Par la suite, des études ont pu démontrer que la religion est une aide puissante pour soutenir les gens au quotidien. Un quart des dépressions nerveuses sont d’origine existentielles. Elles émanent d’une société suffisante ou les personnes souffrent d’un  manque de sens et de but ultime.
On trouve tout au long de votre livre l’exemple de sainte Thérèse de Lisieux (sainte Thérèse de l’Enfant Jésus). Voulez-vous dire qu’elle était dépressive ?
Oui, la petite Thérèse a sombré vers l’âge de 13 ans dans une maladie à caractère psychiatrique. A tel point qu’à un moment donné on l’a crue perpétuellement perdue. Elle a fait une sorte de dépression. Dans ce livre je montre qu’elle a réussi à dépasser cette maladie non seulement grâce à la médecine et à la compassion des gens qui l’entouraient, mais aussi grâce à Dieu. Sainte Thérèse n’a jamais guéri  complètement de ses angoisses, mais il lui a été possible de les assumer dans un amour plus grand, non  plus comme une fatalité, mais comme le lieu même de la rencontre entre la force divine et la faiblesse humaine pour dire avec saint Paul: «Je peux tout en Celui qui me rend fort ». Dieu est aussi venu  sortir de son trouble sainte Thérèse.
Vous voulez parler de la «petite voie» de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus?
Oui. Cette «petite voie» c’est s’accepter tel qu’on est. Et que l’on ne peut donc pas faire plus que ce qu’on est. Que Dieu nous aime tels que nous sommes. La petite voie est une voie d’acceptation, de confiance et d’abandon malgré l’angoisse. Se dire qu’on est dans les mains de Dieu et faire tout ce que l’on peut avec un maximum d’amour. La présence de Dieu vient ainsi apaiser le psychisme qui souffre. Souvent dans la dépression il y a une dévalorisation de soi qui finit par un dégoût de soi. La culpabilité est également très destructrice. Même le sentiment de culpabilité, s’il est selon Dieu, nous fait regarder Dieu et nous prépare au pardon. Et dans l’angoisse, sans Dieu, on ne voit plus que son échec.
Mais l’angoisse et le sentiment de culpabilité touchent une foule de gens. Que doivent-ils faire? Prier?
Comme je vous l’ai dit, lorsque le sentiment de culpabilité et l’angoisse deviennent trop forts, il faut se faire aider par un psychiatre. Tout notre être s’appuie sur la pierre angulaire aimer et être aimé. L’angoisse fondamentale, plus ou moins consciente, d’être rejetés ou exclus menace notre équilibre. Jusqu’à nous jeter parfois dans la culpabilité morbide, le désespoir et la dépression, voire le suicide. Mais Thérèse de Lisieux, la plus grande sainte des temps modernes, qui a connu elle aussi des nuits d’angoisse et de dépression se heurtant au non-sens de la vie a été rattrapée par Dieu au creux de cet abîme. Par son amour puissant, il l’a maintenue à la surface. C’est ce que j’ai voulu montrer dans ce livre. J’ai par ailleurs prévu de faire paraître aux éditions des Béatitudes un petit complément pratique pour combattre ses pensées négatives.


vendredi 25 février 2011

francs--maçons tancés par l'évêque de Monaco

Vous pouvez arriver directement  sur l'article  en cliquant sur  le titre ci-dessus. L'évêque de Monaco explique dans cet article que franc-maçonnerie et catholicisme sont incompatibles et que les francs-maçons ne peuvent recevoir les sacrements. Etre franc-maçon ou catholique, il faut choisir....

mercredi 23 février 2011

christianisme et antiquité


Et le christianisme arracha l’antiquité à l’angoisse de la mort


Vincent Pellegrini, avril 1984

L'adresse et la salutation de l'épître aux Romains
ou
La lumière de l'Evangile pour la vieillesse d'un monde


« Je lisais donc avec une grand avidité ces Livres vénérables dictés par votre Esprit, et par dessus tout, les Epîtres de St Paul » St Augustin Confessions, L.VII Ch. 21.

Ep. aux Rom. Ch. I, V. 7: « Omnibus qui sunt Romae, dilectis Dei, vocatis sanctis. Gratia vobis et pax a Deo Patre nostro, et Domino Jesu Christo! » « A tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome, aux saints par vocation, à vous grâce et paix, de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ »

En étudiant quelque peu les conditions du monde romain au temps où St Paul lui écrivit sa célèbre épître, il est facile de se convaincre de la consolation que fut pour ce peuple l'Evangile, c'est-à-dire combien l'Evangile fut pour lui ce que son non signifie, à savoir une bonne nouvelle, une extraordinaire nouvelle que nous étudierons à la lumière de l'adresse et de la salutation de cette même Epître. Ne sommes-nous pas enclins parfois, nous qui avons trouvé toutes les solutions de la foi dans notre berceau, à poser sur ces pages divines un regard distrait, comme si tout cela était normal et nécessaire? Le but de cette étude sera donc de rafraîchir notre regard sur la gratuité et la grandeur du message prêché à l'occident au nom de Dieu par le docteur des docteurs et proposé jusqu'à la fin du monde par notre sainte Mère l'Eglise qui veut, comme son divin Epoux, qu'aucun de ceux qui lui ont été confiés ne se perde.
« Omnibus qui sunt Romae, dilectis Dei.... » C'est la joyeuse certitude apportée par l'Apôtre aux chrétiens de Rome, à l'anxiété intérieure et au désir immense de ce peuple dans l'attente, comme tout le monde antique d'alors, d'un message d'espérance qui puisse rajeunir un monde fatigué de sa longue chute dans les ténèbres d'une histoire aux apparences cyliques, sans espoir d'une destination bienheureuse en Dieu, livrée semblait-il aux forces obscures d'une fatalité très lourde à porter et à laquelle ni les épicuriens ni les dieux eux-mêmes n'arrivent à échapper (Virgile, Bucolique, IV eglogue, V. 46): « Filez de tels siècles » ont dit à leurs fuseaux les Parques, d'accord ave l'ordre immuable des destins. » L'histoire n'est guère enthousiasmante chez les Anciens, car pour eux, et la chose est aussi sensible chez les Latins (surtout stoïciens) que chez un Platon par exemple, l'univers obéissait à des lois aussi éternelles que la divinité, selon des modes nécessaires et cyliques. C'est ce qu'exprimera Celse au II e siècle contre les chrétiens en disant que si Dieu était réellement descendu du cosmos sur la terre, il aurait bouleversé l'univers, ce qui est chose impossible pour lui. On le voit, dans un tel système Dieu ne peut même plus secourir l'homme et doit rester seul dans sa « demeure ». St Paul, au contraire, montre le Seigneur descendant du Ciel, et les vivants et les morts emportés à sa rencontre: (Thess. V. 15-18). Bien plus, Il vient livrer sa vie pour les hommes.... St Augustin aura fort à faire dans son « De Civitate Dei », L. XII, Ch. X à XX, pour réfuter les partisans de l'éternel retour. Il leur opposera comme St Paul, le grandiose tableau d'une humanité sortie de Dieu et devant rentrer en Dieu, tirée du néant et portée jusqu'à l'infini par la sainteté ou consécration qui lui est conférée et dont nous parlerons en prenant le vocatis sanctis de la saluation. Dilectis Dei.... L'Amour de Dieu pour nous est chez St Paul la première origine de la grâce, et ce devait être consolant pour une humanité qui s'était crue abandonnée de Dieu, d'apprendre que cet Amour de Dieu n'était pas provoqué par le bien de la créature qui ne saurait intéresser Dieu comme elle ne put intéresser les dieux du Panthéon au sort des humains, mais qu'il ne pouvait être que gratuit, du pur Amour subsistant a se, et seulement vouloir le bien des hommes, c'est-à-dire être diffusif de lui-même pour eux, être cause de leur bonté par la grâce qui fait participer à la Bonté de Dieu. Cette antithèse du paganisme et du christianisme « romain » ressort assez nettement de ce texte de Lucrèce dans le De Natura Rerum L. V. : « Dire que pour bien des hommes les dieux ont voulu préparer les merveilles du monde et qu'il convient donc de louer leur oeuvre si digne de louanges, de la regarder etc.... Cette thèse et d'autres de même sorte, Memmius, c'est pure folie! Car ces êtres immortellement bienheureux (l'athée Lucrèce parle ici dans l'hypothèse de l'existence des dieux ou d'un Dieu et raisonne ensuite comme ses contemporains) quels si grands avantages pourraient-ils espérer de notre reconnaissance qu'ils en prennent envie de tenter quoi que ce soit en notre faveur? (Lucrèce est mort en 55 A. J.-C.) Grâce à l'Evangile prêché par Saint Paul, les Romains voyaient ainsi se concilier la faiblesse de l'homme déchu et bien peu aimable pour les dieux, avec le monde divin: Désormais ce serait l'amour efficace de Dieu « qui nous a aimé le premier » qui causerait en l'homme ce que l'homme ne peut être par lui-même. « omnia quaecumque voluit fecit » l'humanité se voyait enfin passer de l'état de réprobation au salut après lequel soupirait (entre autres) Virgile dans ses Bucoliques et comprenait vraiment que Dieu n'avait jamais abandonné l'homme, car l'amour de Dieu pour le genre humain est comme son être éternel et sans repentance tandis que l'amour de l'homme lui, est à l'image de celui des dieux de l'Empyrée, aussi instable que le vent. Rom. V. v. 7: « C'est à peine si l'on meurt pour un juste, et peut-être quelqu'un saurait-il mourir pour un homme de bien. Mais Dieu montre son Amour envers nous en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous » On le voit, Saint Paul ne donne pas aux Romains la solution hellénistique, insatisfaisante, du salut de l'homme par l'homme qui monte vers Dieu plutôt que Dieu ne descend vers lui; ( Que l'on pense à la dialectique de l'amour d'un Platon qui oblige l'homme à quitter sa condition d'homme pour émigrer vers un dieu que ses vains efforts laissent dans une indifférence immuable puisque si l'homme pouvait enfin, comme l'espère plutôt que ne le croit Platon, entrer dans le ciel de l'Archétype primordial, il en serait bientôt chassé par le retour cyclique de l'histoire.... Pour St Paul tout est beaucoup plus simple et consolant: Il y a l'homme qui n'est rien et Dieu et Dieu qui est tout, il y a l'homme qui ne peut rien faire ni devenir autre qu'il n'est sans Dieu, et Dieu qui l'aime d'un Amour transformant, car pour Dieu aimer c'est créer. On retrouve ici l'idée chère à St Paul de la consécration à Dieu de la création « en attente » par le Fils qui a tout récapitulé en lui, et c'est sans doute l'idée centrale de St Paul que le Christ est mort par Amour pour nous et nous a associé à cette Rédemption en récapitulant toute chose en Lui, ce qui est bien loin de la vision manichéenne et dualiste de la dialectique platonnicienne si influente dans la pensée gréco-latine postérieure où les penseurs tombent presque toujours sur l'un des deux pôles matéralistes ou idéalistes selon qu'ils privilégient l'aspect matériel ou immatériel du monde. Cette consécration dans le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ est exprimée par le « vocatis sanctis » qui suit. Désormais, pour les Romains, Dieu est bien loin de ces « dei otiosi » qui n'avaient que faire des hommes, et ne pouvaient pas même en faire des « vocatis » c'est-à-dire leur parler pour se faire connaître, les appeler pour les faire sortir du destin aveugle de l'histoire auquel ils étaient eux-mêmes enchaînés.
« Vocatis sanctis »: L'humanité troublée de sa désordination à Dieu se voit rachetée et transfigurée par la sainteté objective conférée au Baptême: Pour ce monde romain à pensée hellénistique, c'est le message extraordinaire de la participation des créatures à la pureté sans mélange et à la simplicité paisible de Dieu, « apud quem non est transmutatio nec vicissitudinis obumbratio » Désormais la vie aura une fin, un principe d'unité et d'espérance parce que entée sur Dieu par la grâce: « Gratia vobis et pax... »
Mais avant de passer au « Gratia vobis et pax », voyons durant quelques instants la littérature romaine du siècle précédant la venue de St Paul, en confirmatur de l'essoufflement du monde romain et de son attente implicite de ce message de l'Evangile en lequel il espérait confusément parce que désirant un Dieu personnel, aimant et sanctificateur de l'humanité auprès duquel les hommes de bonne volonté puissent se fixer un jour.
Ainsi Virgile, reprenant le thème en vogue de l'âge dor, désir nostalgique d'un paradis perdu mais retrouvé peut-être un jour par le retour de l'histoire, nous le montre revenu avec la naissance d'un enfant qui recevra une vie divine et pacifiera la misère de la condition humaine. Lactance et St Augustin ont vu dans cet enfant une annonce du Christ, en tous cas, il traduit l'immense nostalgie du monde littéraire et donc de l'âme romaine, de recevoir comme au début de l'humanité la paix pour le monde et l'état d'innocence dans les âmes. Bucoliques (37 a. J.-C.) IV e Eglogue: « Pollion! Voici venu le dernier âge de la cuméenne prédiction; Voici que recommence le grand ordre des siècles (Thèse du retour cyclique qui condamne cet âge d'or à n'être à nouveau que passager) Déjà revient aussi la Vierge,le règne de Saturne. Déjà une nouvelle race descend du haut des cieux. Cet enfant dont la naissance va clore l'âge de fer et ramener l'âge d'or dans le monde entier, protège-le seulement, chaste Lucine! C'est sous ton consulat, Pollion, que commencera ce siècle glorieux et que les grands mots prendront leur cours; sous tes auspices, les dernières traces de notre crime, s'il en reste encore, pour toujours effacés, affranchiront les terres d'une frayeur perpétuelle. Cet enfant aura la vie des dieux.... et il gouvernera l'univers pacifié par les vertus de son père. (A noter que dans son « Enéide », Virgile luttera contre cette notion du temps naturel cyclique: selon une analyse de H. U. von Balthazar) On pourrait trouver des idées semblables au début des Métamorphoses d'Ovide par exemple. Et ne croyons pas que ce désir des philosophes ait été totalement absent du peuple lui-même. Il suffit de savoir pour cela que Virgile écrivit l'Enéide pour essayer de redonner un peu de vie et surtout de conviction à la religion des romains qui croyaient de moins en moins à l'aréopage des dieux et ne devaient pas en attendre souvent la solution aux grandes questions de l'existence.
Dans le « Somnium Scipionis », Cicéron amorce les pensées de Pascal sur les espaces infinis de l'univers, évoque la musique céleste des sphères et ouvre sa méditation sur l'immortalité à laquelle il aspire et qu'il appelle de ses voeux, plutôt comme un désir que comme une assurance, tant on le sent écrasé par sa petitesse devant ce qu'il nomme l'infini: L. VI Ch. XXIV « Pénètre-toi que ce n'est pas toi qui es mortel, que c'est ton corps..... De même que l'univers, en partie mortel, est mis en mouvement par un Dieu qui lui, est éternel, de même un corps fragile est mû par une âme impérissable..... » D'ailleurs, Cicéron dit lui-même à un autre endroit, qu'en lisant le Phédon de Platon il est convaincu de l'immortalité de l'âme, mais qu'après l'avoir déposé il en doute de nouveau....
De toutes façons, le ciel est fermé aux hommes qui ne pourront jamais vivre avec les dieux: Horace (Ep. II 13 37-40) nous présente des dieux très peu enclins à accueillir les hommes dans leur royaume tant la chose semble inconcevable.... » Rien pour les mortels de trop haut; le ciel même, nous avons la folie de chercher à l'atteindre, et par notre crime nous empêchons Jupiter de calmer son courroux et ses fonds » En effet, ce qui suit la mort, à supposer qu'il y ait une après-mort, ne peut être chez lui comme chez beaucoup d'autres auteurs latins, qu'un triste exil, une errance éternelle sans terme béatifique qu'on pourrait plus ou moins comparer au scheol des Hébreux. Horace Ep. II 25-28: « Tous, nous sommes poussés vers le même lieu, tous nous avons notre nom agité dans l'urne, d'où tôt ou tard tous nous avons notre nom agité dans l'urne, d'où tôt ou tard il va sortir et nous faire, pour l'éternel exil, prendre place dans la barque.... » Ainsi Lucrèce qui lutte pourtant contre l'immortalité de l'âme, en vient à parler de la mort comme les autres, et chez lui encore elle est un état qui n'est ni la vie ni la mort, mais bien plutôt une sorte de sommeil éternel (De Natura L. III 989-990) Si le païen Lucrèce ne semble pas vouloir s'en émouvoir, comment ne sentirions-nous pas la nostalgique tristesse d'un Cicéron qui nous parle d'elle en ces termes dans ses Catilinaires VI 5: « Les soleils se lèvent et se couchent. Pour nous, quand une fois sera tombée la brève lumière, il n'y aura plus qu'une même longue nuit qu'il nous faudra dormir toujours. »
Pour Clore ces citations, reportons-nous à ce cri de Catulle qui implore les dieux de le transformer intérieurement et de le délivrer des passions dévorantes qu'il ne peut vaincre lui-même. Le monde antique avait perdu confiance en l'homme car plus il progressait dans la connaissance, et plus il voyait sa disproportion à Dieu; il n'attendait plus qu'une intervention extraordinaire de Dieu qui ferait de l'homme une nouvelle créature capable de participer à la vie de Dieu. Cette intervention sanctificatrice extraordinaire ce sera l'infusion de la grâce (Gratia vobis....) Texte de Catulle tiré de l'ouvrage du Père Festugières intitulé « La vie spirituelle en Grèce » P. 204 (Il s'agit ici du poète latin mort vers 47 A. C.) « O Dieux, s'il vous appartient d'avoir pitié, ou si jamais vous avez apporté enfin de l'aide à des gens qui déjà mouraient, jetez les yeux sur moi misérable, et si  j'ai vécu en pureté, arrachez de moi cette peste, ce fléau, qui se glissent en moi comme une paralysie dans mes fiores les plus intimes etc.... C'est moi-même qui veux guérir et qui souhaite de me défaire de cette affreuse maladie, ô dieux faites-moi cette grâce en retour de ma piété. »
Si j'ai parfois parlé plus haut de concepts hellénistiques, en me référant à Platon par exemple, pour caractériser l'esprit romain, c'est qu'après avoir soumis les grecs par la force, ces mêmes Romains en subirent la domination intellectuelle et en adoptèrent les arts, la philosophie, la littérature et jusqu'à la langue ainsi que l'explique Horace (Ep. II), et c'est pourquoi les quelques exemples de littérature latine donnés ci-dessus suffiront à titre de simple illustration de ces vues sur l'esprit gréco-romain traitées entre autres par le Père Festugières et le Cardinal Journet.
« Gratia vobis et pax a Deo Patre nostro, et Domino Jesu Christo. » Le salut des Grecs et celui des Juifs, ont ici un sens surnaturel, à savoir la faveur de la grâce par laquelle tout commence (pour le premier), et la paix (pour le second) qui n'est autre que la réconciliation et la vie avec Dieu par l'union de volonté avec Lui qui est rendue possible par la grâce, selon le commentaire fait par Dom Delatte sur ce passage de l'Epître. Le Docteur de la grâce donne au monde romain ce message formidable, développé ensuite tout au long de son Epître, qui le fait passer des ténèbres de l'errance à la lumière éternelle de la vie béatifique. Désormais les Romains pourront dire avec les Juifs: Rom. Ch. V VI « Justificati ex fide pacem habeamus ad Deum per Dominum nostrum Jesum Christum! » L'humanité a enfin atteint le principe et la fin de sa course: le Christ Jésus; « Tout est consommé », les figures de l'Ancien Testament ont fait place à la réalité, le message Pascal peut désormais illuminer le monde.

Eph. V 14: « O toi qui dors, éveille-toi, lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera. »

mardi 22 février 2011

Le cardinal Cottier parle sans fard de l'islam


Le journaliste de "La Liberté" Patrice Favre a consacré un livre itinéraire et d'entretiens au cardinal Georges Cottier, qui fut le théologien particulier de Jean Paul II. Cet ouvrage publié aux éditions CLD et disponible en librairie est fort intéressant. Dans le chapitre XIV intitulé "Le Coran et l'Orient", l'islam est abordé de manière à la fois nuancée et directe,  le Père Cottier ayant souvent visité des pays musulmans. En voici quelques extraits:

" Sur l'islam, le cardinal Cottier n'a pas élaboré des réflexions aussi poussées que sur le judaïsme. Mais il a suivi d'un oeil attentif l'évolution d'une religion qui, selon ses termes, " interpelle énormément les chrétiens ". Le père de Menasce, un de ses premiers maîtres, en parlait comme d'une hérésie juive, une position à laquelle s'était rallié le cardinal Journet. " L'islam serait une sorte de judaïsme sans l'élan messianique. La révélation s'arrête avec Mohammed, il n'y a plus d'histoire du salut au sens où l'entendent juifs et chrétiens", dit Cottier. Des traces chrétiennes sont visibles dans le Coran, "et il est possible que Mohammed ait subi l'influence de chrétiens nestoriens qui niaient la divinité du Christ". De fait, le Jésus du Coran est un prophète, pas le Fils de Dieu. Le texte fondateur de l'islam contient d'ailleurs des confusions capitales à propos de la Trinité: elle serait composée de Allah, Jésus et Marie (sourate 5, 116), et elle serait une triade de dieux (sourate 4, 171et 5, 73).

En débattre avec un musulman n'est pas aisé, car il n'acceptera pas de remarques critiques sur le Coran. " C'est un des nombreux problèmes que la modernité pose à l'islam, poursuit le cardinal Cottier. J'en vois au moins trois. D'abord, le fait que l'islam ne distingue pas entre ce qui appartient au Royaume de Dieu et ce qui relève de César. Dans les mosquées, vous entendez des discours politiques et cela ne choque personne. L'autre problème majeur est la condition de la femme. Une photographe qui a beaucoup voyagé dans ces pays me racontait à quel point la femme y est méprisée et enfermée dans un rapport de domination. L'absence de vrai dialogue au sein du couple a une influence sur la difficulté de l'islam à dialoguer en général. Cela n'empêche pas que les musulmans aient une attitude religieuse authentique, avec un sens élevé de la transcendance. Mais ce n'est pas un Dieu qui se communique. Il reste inaccessible, et l'homme est comme écrasé devant lui. "

Troisième difficulté, déjà signalée, la lecture critique du Coran: "On sait que les sourates ne datent pas toutes de la même époque ; certaines sont postérieures à Mohammed, lequel n'a d'ailleurs rien écrit. Les textes ont été rassemblés après sa mort. La méthode historico-critique pose de sérieux problèmes aux musulmans. Le jour où ils l'appliqueront, et certains le font déjà dans les milieux de l'émigration, l'islam changera. Mais ces travaux ne sont pas encore acceptés dans le monde arabe. " Les catholiques aussi ont beaucoup hésité avant d'accepter certaines remises en question du texte biblique. Les résistances musulmanes ne sont-elles pas compréhensibles ? " C'est vrai, l'Eglise a mis du temps avant d'accepter les travaux des exégètes. Les musulmans pourraient d'ailleurs profiter des expériences faites avec la Bible, mais ils n'en veulent pas : on ne touche pas au Coran. Au point que même les traductions font problème à certains, qui considèrent l'arabe comme la seule langue divine. "

Le rapprochement souhaité entre juifs, chrétiens et musulmans pourrait se fonder sur le fait que ces trois religions ont le même Dieu : au-delà des différences culturelles et religieuses, les noms d'Allah, Yahvé et le Dieu chrétien ne recouvrent-ils pas une même réalité ? " En êtes-vous sûr ? se demande le père Cottier. Pour un musulman, Dieu échappe totalement à la connaissance. Pour le chrétien, Dieu est un mystère, ce qui n'est pas identique. Quelque chose de Lui peut être connu dans la foi :l'incarnation et la trinité de Dieu, par exemple, alors que ces deux réalités sont niées par l'islam. Pour eux, dire que Dieu est Père et qu'on est créé à son image est tout à fait inacceptable. Pour les Juifs aussi, Dieu est Père et l'homme est créé à son image. Et nous partageons le même Décalogue, les Dix commandements. Avec l'islam, les différences sont beaucoup plus radicales. "

Les points d'accrochage sont nombreux, on le voit. Un des plus importants étant la liberté religieuse. Que certains musulmans interdisent encore la conversion à une autre religion, sous peine de mort, est gravissime, estime le cardinal. " Qu'un Genevois comme Hani Ramadan, qui a passé son enfance en Suisse, puisse justifier la lapidation en cas d'adultère est réellement préoccupant.  L'appartenance au groupe est très forte encore dans le monde musulman, et le sens de la personne insuffisamment développé. Il est vrai que c'est le grand apport du christianisme à l'humanité, et il a été préparé par le judaïsme. "

Il en va de même pour le dialogue. Depuis Paul VI et son encyclique Ecclesiam suam (1963), l'Eglise catholique en fait la boussole de son rapport avec le monde. " La foi est dialogue ", dit même le cardinal Cottier, parce qu'elle est à l'image d'un Dieu Trinité. Mais les représentants des autres religions n'ont pas tous le même point de vue, ni la même sagesse. " Un petit frère de Jésus qui a vécu longtemps en Iran sous Khomeiny me racontait ses difficultés et combien il avait dû constater que le dialogue est surtout une valeur chrétienne ", se souvient le père Cottier.

Son regard sur l'islam semble peu positif ? " Je ne porte pas de jugement sur la foi des personnes, je l'ai déjà dit. Et ce qui se passe en Europe est important. (...) Il y a des conversions dans les deux sens, même si les musulmans convertis sont discrets par peur des représailles. Des banlieues de l'islam sortent peu à peu des intellectuels qui interrogent leur religion de l'intérieur. Je sens comme une fermentation autour du problème majeur de l'islam, son rapport à la violence. La grande masse des musulmans n'est pas fondamentaliste. Mais pourquoi est-elle si vulnérable face à certains discours ? C'est une religion née avec la guerre, avec les conquêtes militaires. Elle a des comptes à régler avec la violence, c'est certain. "


lundi 21 février 2011

Rome-Ecône: le malentendu autour de la liberté religieuse

Par Vincent Pellegrini

J'ai écrit dans un précécent commentaire que Rome et Ecône, dans leurs discussions actuelles, progressaient sur des voies parallèles. Ce qui divise le plus les deux camps est la liberté religieuse. Pourquoi? A mon humble avis car Ecône saisit ce problème sous l'angle métaphysique et ontologique alors que Rome voit une liberté religieuse physique (droit civil de pratiquer sa religion). Pour Ecône, la religion dans l'erreur n'a aucun droit objectif ni ontologique ni même civil. Mais pour Ecône la religion autre peut être tolérée par la société car on ne peut contraindre quelqu'un à pratiquer une religion qui n'est pas la sienne et surtout car on ne peut le contraindre non plus de cesser de célébrer une religion qui est la sienne en conscience. Pour Ecône on ne peut  en effet non plus contraindre quelqu'un à ne pas célébrer une religion que sa conscience lui dicte de suivre car ce serait l'amener au péché. Ecône reconnaît qu'on ne peut contraindre les consciences en matière religieuse. Pour Rome, toute religion peut-être pratiquée, tolérée, tant qu'elle ne trouble pas l'ordre public. Rome (Vatican II) est dans un raisonnement practico-pratique. Le problème pour Ecône est que Rome rattache la liberté religieuse aux droits de l'homme. Au fond, les deux parties ne sont pas en contradiction, mais Ecône est dans un raisonnnement scolastiques de l'Homme. Et pour Ecône, ces droits de l'homme n'ont rien d'ontologique au contraire de la loi naturelle par exemple.  Autrement dit, Rome et Ecône ne parlent pas de la la même chose et n'évoluent pas sur le même plan. Prions pour que chacun comprenne la démarche de l'autre pour rendre un  rapprochement possible.

dimanche 20 février 2011

Quand la lance de Saint Maurice fascinait les empereurs ottoniens et même Hitler


Par Vincent Pellegrini 

HISTOIRE . La lance de Saint Maurice (chef militaire martyr avec sa légion thébaine à Agaune), aurait été celle du légionnaire Longins qui perça le flanc du Christ au Golgotha et aurait appartenu à Constantin, était à l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune selon certaines chroniques et se trouve aujourd’hui dans le trésor des Habsourg au musée Hofburg de Vienne. Cette lance avait des vertus surnaturelles et donnait la victoire dans les batailles. C’est l’un des grands mythes de la chrétienté médiévale et les empereurs ottoniens firent tout pour l’acquérir. Elle fut un insigne majeur du pouvoir impérial et elle est mise aussi en valeur au côté du Graal dans le cycle arthurien. Cette lance conservée aujourd’hui à Vienne a même fasciné Hitler, qui avait un fort passé occultiste, au plus haut point. Voici ce qu’en dit par exemple un site: “Quand Hitler annexera l’Autriche au troisième Reich en 1938, une des premières choses qu’il fera c’est d’aller chercher la « lance du destin ». Il la fait transporter à Nuremberg par un train spécial, sous la surveillance d’une garde armée. Là, il la fait placer dans une église, transformée sous son ordre en temple nazi. Quand les alliés bombardent la ville, Hitler ordonne que la lance soit cachée dans un coffre-fort spécial dissimulé dans les fondations. Finalement, le 30 avril 1945, des troupes américaines, qui ont réussis à atteindre Nuremberg malgré une résistance farouche, pénètrent dans son coffre-fort et trouvent la lance. Hitler, qui est alors isolé dans son bunker de Berlin, ne sait pas ce qui s’est passé. Mais il se suicidera seulement quelques heures plus tard. Aujourd’hui cette lance, relique au triste passé, a retrouvée sa place au musée Hofburg.” 

QUAND SAINT MAURICE RÉGNAIT SUR LES ROIS ET LES EMPEREURS


par VINCENT PELLEGRINI  - 


HISTOIREUn colloque international a exploré l'incroyable rayonnement politique et identitaire du chef de la légion thébaine à travers les siècles.
Statue équestre de saint Maurice en Franche-Comté (XVIe siècle).  DR
On peine aujourd'hui à imaginer que saint Maurice a été l'un des saints les plus importants du Moyen Age. Le chef de la légion thébaine martyrisé selon la tradition avec ses compagnons aux portes d'Agaune (Vérolliez) a même été l'un des principaux saints impériaux et royaux. Cet aspect, parmi d'autres du «Primicier de Dieu», a été exploré par un colloque international de haut niveau qui a eu lieu cette semaine à Besançon et à l'abbaye de Saint-Maurice. Organisé par le Laboratoire des sciences historiques de l'Université de Franche Comté (Anne Wagner et Nicole Brocard) et par la Fondation des archives historiques de l'Abbaye de Saint-Maurice (Françoise Vanotti et le chanoine Olivier Roduit), il nous a réservé bien des découvertes autour du thème «Politique, société et construction identitaire autour de saint Maurice».

Maurice bourguignon

Sans revenir sur les Burgondes et leur roi saint Sigismond qui fonda l'abbaye en 515, celle-ci a aussi été le centre symbolique du royaume de Bourgogne (monarchie rodolphienne de 888 à 1024). Le roi de Bourgogne recevait même l'anneau de saint Maurice et les premiers souverains rodolphiens se faisaient couronner à Agaune. Le roi bourguignon pouvait ainsi compter sur le saint militaire pour affermir sa légitimité, saint Maurice devenant dès lors le patron du pouvoir royal, comme l'a expliqué à Besançon l'historien François Demotz. Et pour ce qui est du lieu, le nom de Saint-Maurice supplante alors celui d'Agaune. A cette époque, l'abbaye de Saint-Maurice fonctionnait com me chancellerie royale et elle fut le domicile préféré des rois de Bourgogne, même si les choses ont quelque peu changé à la fin de la dynastie rodolphienne, notamment à cause des raids des Sarrasins. Les premières générations des rois de Bourgogne - jusqu'à la findu Xe siècle - se font même enterrer à Saint-Maurice. Mais la montée sprituelle et temporellede la puissante abbaye de Cluny - qui bénéficie de nombreuses dotations - fera de plus en plus d'ombre à l'abbaye de Saint-Maurice et au culte du saint militaire martyr.

Maurice impérial

Après la fin du royaume rodolphien, au XIe siècle, saint Maurice poursuit son influence européenne com me saint impérial. En 1050, le pape Léon IX et Henri III rétablissent les libertés de l'abbaye d'Agaune alors que l'évêque de Sion avait réussi à mettre la main sur ladite abbaye. Laurent Ripart a par ailleurs rappelé les efforts déployés aux VIIe et VIIIe siècles par l'abbaye de Saint-Maurice pour échapper au pouvoir de l'évêque. Saint Maurice, par son rôle tutélaire sur l'Empire, avait une trop grande importance pour ne pas être «libre» en ses murs agaunois... Saint Maurice qui a d'ailleurs toujours été un saint impérial. Le culte de saint Maurice a même pris une énorme ampleur au temps des Ottons (Saint-Empire romain germanique).

Maurice et les Francs

Le culte de saint Maurice et de ses compagnons martyrs a de fait eu une grande importance pour le pouvoir central du royaume franc entre les VIIIe et XIIIe siècles, comme l'a montré lors du colloque Esther Dehoux. Saint militaire, Maurice avait en effet une dimension politique. Il montrait que l'on peut se sanctifier comme militaire au service du prince, à condition cependant que ce dernier respecte la foi. N'avait-il pas lui-même obéi à un empereur païen avant de refuser un ordre qui contredisait sa foi chrétienne?
Au XIIIe siècle, on trouve le culte de saint Maurice un peu partout en Europe et il est représenté dans les cathédrales de France les plus prestigieuses, soit sur les vitraux soit sous la forme de sculptures (cathédrale de Tours, basilique saint Denis, Notre-Dame de Paris, Sainte Chapelle de Paris, cathédrale de Chartres, cathédrale de Poitiers, etc.). Bref, saint Maurice est directement associé à la couronne franque et aux fleurs de lys, montrant que le gouvernement du prince est agréé par Dieu. Maurice est également la bonne conscience des croisés et il est souvent représenté avec saint Georges.

Maurice et les Savoie

A la fin du Moyen Age, les seigneurs aiment attacher à leurs armoiries et donc à leur pouvoir les saints militaires au premier rang desquels figure saint Maurice. La maison de Savoie récupère par exemple l'épée de saint Maurice sur ses insignes. Et le mot «Maurice» devient même un cri de guerre pour la chevalerie!

Quand Carthage était un phare du christianisme

NAISSANCE DU CHRISTIANISME  Grande métropole chrétienne d’Afrique du Ier au VIIsiècle, la ville détruite puis reconstruite par les Romains a marqué très fortement l’histoire de l’Eglise.
QUELQUES DATES



Par VINCENT PELLEGRINI

En ces temps où l’on fête
la naissance du Christ, il
est intéressant de rappeler
que le christianisme
est né aux portes de
l’Afrique. Les cinq patriarcats
antiques du
christianisme parsèment
d’ailleurs le pourtour
méditerranéen,
souvent en terres devenues
musulmanes après
la conquête islamique. Il
faut en effet ajouter à
Rome et Jérusalem les
sièges d’Antioche,
d’Alexandrie et de
Constantinople.
On l’oublie trop souvent,
l’Afrique du Nord
fut l’un des berceaux florissants
de la chrétienté.
Et l’exemple d’une ville
comme Carthage, près
de la Tunis actuelle, est
emblématique de cette
histoire. Qui se douterait
aujourd’hui, en visitant
les multiples ruines
chrétiennes de Carthage,
que cette ville fut
l’un des principaux phares
de l’Eglise des premiers
siècles? Il reste en
effet peu de choses sur
les champs de fouille de
Carthage, hormis quelques
colonnes et murs.
On admirera par exemple
les ruines de la basilique
Damous el-Karita,
avec ses neuf nefs, et celles
de la basilique de
Saint-Cyprien, près de la
mer, sur le parvis de laquelle
le grand saint Augustin
prit congé de sa
mère Monique qui pleurait.
Depuis ce point, la
vue sur le golfe de Carthage
et ses montagnes
est toujours aussi belle
et pure que du temps de
l’auteur des «Confessions
».
Ville des conciles
On le rappellera,
prise par Scipion en 146
av. J.-C., Carthage fut totalement
détruite et entièrement
reconstruite
par les Romains sous le
nom de Junonia. Ressuscitée
par Auguste en
l’an 29 av. J.-C., Carthage
redevint rapidement
une ville aussi imposante
que somptueuse.
Et elle fonctionna surtout
durant sept siècles
(jusqu’en 698) comme
capitale et métropole incontestée
de l’Eglise
d’Afrique, statut confirmé
par l’Eglise de
Rome malgré la concurrence
d’Alexandrie.
C’est principalement de
Carthage, en tout cas,
que le christianisme
s’est répandu dans
l’Afrique du Nord.
Carthage connut ses
premiers martyrs en
180. Le célèbre apologiste
Tertullien, qui habitait
Carthage, explique
qu’en l’an 197 les chrétiens
de cette ville occupaient
déjà tous les postes
clés et formaient
presque la majorité de la
population.
Au 1er concile africain,
vers l’an 220 (il sera
suivi de bien d’autres),
une septantaine d’évêques
se réunirent à Carthage
pour traiter du
baptême des hérétiques.
Le début du IIIe siècle
voit le martyre à Carthage
des illustres saintes
Perpétue et Félicité
et de leurs compagnons
qui sont toujours cités
au canon (partie centrale)
de la messe. Une
petite chapelle est aujourd’hui
encore aménagée
dans l’amphithéâtre
romain de Carthage
pour perpétuer le
souvenir de ce martyre
et de nombreux autres.
La persécution de
Dioclétien (303-305)
provoqua aussi de nombreux
martyres à Carthage.
Le christianisme
devint juste après la religion
de l’Empire romain,
mais l’hérésie donatiste
entrava ensuite
l’essor du christianisme
africain durant un siècle.
On parle encore aujourd’hui
de la célèbre
conférence qui opposa à
Carthage, au début du
Ve siècle, 278 évêques
donatistes à 286 évêques
catholiques (120 avaient
été retenus chez eux).
Cela se passait dans les
thermes dits de Gargilius
dont on peut admirer
aujourd’hui encore
des colonnes. Le grand
saint Augustin, évêque
d’Hippone (aujourd’hui
en Algérie), qui a étudié
à Carthage et y a souvent
prêché, était présent à
ce concile où il a fait la
différence, battant à
plate couture dans la
dispute l’évêque Pétilien,
champion des donatistes.
Gloire et déclin
Les auteurs des premiers
siècles mentionnent
17 basiliques chrétiennes
à Carthage et
l’on peut encore en voir
aujourd’hui nombre de
ruines, même s’il ne
reste que quelques colonnes
et quelques
murs. L’écrivain Ausone
(310-395) écrivait que
Carthage n’avait de supérieure
que Rome et de
rivale que Contantinople.
Cela donne une indication
sur la grandeur
passée de cette métropole
chrétienne. Une
église carthaginoise qui
s’est relevée de la persécution
vandale (arianisme
dominant entre
439 et 533), et qui a pu
renaître avec la domination
byzantine (533-
698). En 534, il y avait
encore 217 évêques au
concile réuni à la basilique
de Faustus, toujours
à Carthage.
Mais en 698, c’est la
prise de Carthage par les
Arabes. La ville n’est pas
détruite et cela permet
au christianisme de perdurer
à Carthage en vivotant.
Peu à peu, cependant,
l’islam éteint
la flamme chrétienne.
En 1053, les provinces
africaines ne comptent
déjà plus que 5 évêques!
En 1076, il n’y a plus que
deux évêques. L’islam a
ainsi éradiqué le christianisme
de ce qu’on appelle
aujourd’hui la Tunisie.
L’évêque de Tunis
ne «règne» ainsi aujourd'hui plus
que sur 22000 catholiques,
essentiellement
des expatriés européens,
des étudiants et
des ressortissants africains.
Les chrétiens arabes
sont plutôt rares en
Tunisie, pays par ailleurs
très tolérant pour les autres
religions.
Visite à saint Louis
Et enfin, on ne quittera
pas le site de Carthage
sans visiter, sur la
colline de Byrsa (l’ancien
fort carthaginois),
l’ex-cathédrale catholique
de Saint-Louis. C’est
un extraordinaire édifice
de style néoromanmauresque
construit en
1890 sur le lieu même ou
le roi français saint Louis
mourut à la huitième et
ultime croisade (1270).
A l’intérieur, les effets
entrecroisés de l’architecture
et de la lumière
des vitraux sont
tout simplement magiques.

Repères 

146 av. J.-C.: prise et
destruction de Carthage par
les Romains.
 29 av. J.-C.: reconstruction
de Carthage.
 IIe siècle: forte propagation
du christianisme.
 439-553: occupation
vandale.
 533-698: occupation
byzantine.
 698: prise de Carthage
par les Arabes.
 1270: échec de la dernière
croisade et mort du roi de
France Louis IX à Carthage.
Les ruines de la basilique Damous el-Karita
dominées par la grande mosquée qui
se dresse près du site archéologique de
Carthage. LE NOUVELLISTE
L’ex-cathédrale Saint-Louis à Carthage. LE NOUVELLISTE.

La nouvelle théologie de la libération


ENQUÊTE  Ancien grand reporter au «Figaro Magazine» Jean-Pierre Moreau a enquêté sur un nouveau christianisme révolutionnaire


Par VINCENT PELLEGRINI

Ancien grand reporter au «Figaro
Magazine», le journaliste
français Jean-Pierre Moreau a
réalisé en 1986 avec ce magazine
et Sygma TV un film documentaire
intitulé: «Dieu et Marx», qui montrait l’action de
prêtres au côté de la guérilla
dans divers mouvements de libération
d’Amérique latine.
Durant une année, il avait
sillonné avec son équipe TV
toute l’Amérique latine pour
montrer cet aspect de la théologie
de la libération. Il revient aujourd’hui
avec un livre – aux Editions
Fol’fer – sur la résurgence
de ladite théologie de la libération.
Nous lui avons demandé ce
qu’il restait de cette théologie libérationniste
qui a été combattue
par Jean Paul II et par celui
qui était encore à l’époque le
cardinal Ratzinger. Un thème
d’actualité puisque le pape
s’apprête à publier une grande
encyclique sociale.
Qu’aviez-vous découvert en 1986
lors de la réalisation de votre
film?
Que nombre de prêtres – également
européens – étaient des
agents actifs de la guérilla révolutionnaire.
Ils ne faisaient certes
pas toujours partie de l’appareil
militaire mais collaboraient
directement avec la guérilla
sur d’autres plans, y compris
logistiques.
Durant cinq ans, au «Figaro
Magazine», nous avons investigué
et recueilli des éléments
montrant que l’Action de carême
française de l’époque et
son bras national, le CCFD (Comité
contre la faim et pour le développement)
finançait avec
l’argent des fidèles des groupes
révolutionnaires. J’ai même eu
un procès en diffamation pour
le livre que j’avais consacré à ce
sujet, «l’Eglise et la subversion»,
mais je l’ai gagné.
Qu’est-ce que la théologie de la
libération théorisée par les
Lenoardo Boff et autres penseurs
libérationnistes?
Jusqu’à la 3e Internationale, la
dialectique marxiste léniniste
ciblait le monde ouvrier. Après
la Seconde Guerre mondiale
cette opposition de classe s’est
doublée de luttes de libération
nationale. On opposa alors non
plus seulement les ouvriers aux
bourgeois, mais les colonisés
aux colonisateurs.
C’est un discours qui séduisit
certains prêtres et un religieux
devint par exemple le biographe
de Fidel Castro. Il y a eu,
comme a dit Benoît XVI, «manipulation
idéologique de la religion
». Et ce processus a été initialisé
en Amérique latine par
des religieux venus d’Europe. Ils
ont gauchisé une pensée chrétienne
pour en faire une idéologie
socialiste de conquête du
pouvoir. Ils ont gardé la dialectique
marxiste en opposant systématiquement
les riches aux
pauvres, les églises locales à
l’Eglise de Rome, les communautés
de base à la hiérarchie
ecclésiastique et à l’autorité de
l’évêque.
Bref, la théologie de la libération
a créé une hiérarchie parallèle
à celle de l’Eglise dans les
paroisses grâce notamment aux
communautés de base.
Aujourd’hui la théologie de la
libération est cependant affaiblie.
Après la chute du mur, l’Union
soviétique a effectivement cessé
de financer la propagande révolutionnaire
dans le monde et les
guérillas se sont progressivement
éteintes ou tout au moins,
ont connu un ralentissement
considérable.
En 1986, le cardinal Ratzinger
avait par ailleurs publié une
note condamnant la théologie
de la libération dans son essence.
La même année, Jean
Paul II a stigmatisé cette même
théologie de la libération dans
une lettre aux évêques brésiliens.
C’était l’époque où l’archevêque
de Sao Paulo, le cardinal
Arns, félicitait Fidel Castro
pour l’anniversaire de la révolution
cubaine. Bref, l’Eglise a
lancé une contre-attaque à travers
les conférences épiscopales
d’Amérique latine. Evêques et
clercs proches de la théologie de
la libération ont été mis peu à
peu sur la touche. La théologie
de la libération en est ressortie
considérablement affaiblie et
Leonardo Boff a quitté l’Eglise.
Bref, le mouvement a échoué à
prendre le contrôle des structures
ecclésiales, y compris en Europe.
Alors, pourquoi consacrez-vous
aujourd’hui un livre à la résurgence
de la théologie de la libération?
Car le CCFD français (Comité
contre la faim et pour le développement),
organisme officiel
de l’épiscopat qui a le monopole
de la quête de l’Action de carême
en France, continue de
plus belle dans la ligne de la
théologie de la libération, notamment
à travers des réunions
comme le Forum social mondial
ou le Forum mondial de théologie
et libération.
En enquêtant, j’ai découvert
que le CCFD était encore plus
puissant, vingt ans après, qu’il
travaillait main dans la main
avec le syndicat CFDT, et le
groupe néo-trotskiste, ATTAC,
pour promouvoir l’idéologie de
la 4e ou de la 5e Internationale.
Son président Guy Aurenche
vient de la gauche. Aujourd’hui,
la dialectique marxiste s’applique
à la mondialisation. Des
penseurs, comme le prêtre
belge et professeur à Louvain
Francois Houtard sont les animateurs
de cette nouvelle théologie
de la libération.
Mais ne s’agit-il pas tout simplement
d’une sensibilité catholique
progressiste et sociale?
Non, car le vieux schéma de la
lutte des classes est appliqué, à
l’écologie et à la mondialisation.
La théologie de la libération
s’oppose aux multinationales et
aux Etats qui détruisent la nature
seul bien des pauvres. On
est dans une nouvelle démarche
politique qui appelle la société
civile à prendre le pouvoir
contre les pouvoirs en place représentés
par les politiciens,
l’Eglise hiérarchique, les économistes,
etc. La nouvelle théologie
de la libération veut changer
radicalement la société mais ne
véhicule plus de références
chrétiennes. Le slogan est double:
un autre monde est possible,
une autre Eglise est possible.
La mission évangélisatrice
de l’Eglise est complètement
remplacée par un développement
utopique qui sauvera les
peuples.
Cette nouvelle théologie de la
libération n’a pas ses entrées au
Vatican…
Oui, elle ne reprend pas vraiment
pied dans l’Eglise mais
c’est dans la sphère politique
qu’elle essaie de reconquérir le
terrain perdu, notamment à travers
des réunions internationales
comme le Forum social
mondial. Cette année, à Belem
(Brésil), il y avait par exemple
énormément d’associations et
d’ONG chrétiennes. Il y avait
aussi cinq chefs d’Etat latinoaméricains
de gauche et ce Forum
social mondial a consacré
une sorte de christianisme révolutionnaire
sans christianisme.
Certains théologiens libérationnistes
ont pourtant cité Jean Paul
II disant qu’il y avait une théologie
de la libération chrétienne
«utile et nécessaire».
Il s’agit d’une falsification. Ce
dernier disait que la théologie
de la libération, au sens catholique,
était nécessaire, et qu’elle
passait par la conversion des
coeurs et l’évangélisation. Il a
bien expliqué dans ses textes
que ce n’était pas celle prônée
en Amérique latine. Benoît XVI,
lui, a expliqué que sans l’Esprit
Saint et en dehors d’une optique
de foi, l’Eglise n’était plus
qu’une sorte d’agence humanitaire